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Nouvelles lignes de tram : la grande illusion

  • Photo du rédacteur: Mickaël Baubonne
    Mickaël Baubonne
  • 2 juin
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 juin

Dans le cadre de la robustification du réseau de tramway, Bordeaux Métropole a confirmé l'exploitation à compter de septembre 2025 de deux nouvelles lignes de tramway sur des tronçons existants déjà congestionnés. Vitesse commerciale réduite, fréquences allongées, amplification des conséquences du moindre incident, trajets bouleversés... la création des lignes E et F dégradera en réalité fortement les conditions de déplacement des usagers.


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Les fausses nouvelles lignes de tram

Pour remporter le contrat de l'exploitation du réseau TBM, Keolis a prétendu pouvoir créer deux nouvelles lignes de tramway et assurer des fréquences de 2 minutes et 30 secondes sur les tronçons les plus chargés du réseau. Le ligne E relierait Blanquefort à Floirac et la ligne F l'aéroport à la gare. L’annonce est alléchante… sauf qu’il s’agit en réalité d’utiliser davantage des infrastructures qui le sont déjà trop.

Pourtant, régler les problèmes du tramway avec plus de tramways sur les infrastructures existantes, Keolis et Bordeaux Métropole ont déjà fait le coup en 2015 avec les terminus partiels ! Et on sait depuis que ça ne fonctionne pas. Hervé Lefèvre, alors directeur général de Keolis Bordeaux Métropole, avait en effet admis plus tard que la « bouffée d’oxygène » attendue pour cinq ans n’avait pas duré deux ans. Rebelote aujourd’hui donc avec ces lignes E et F !

Mais, au regard du fonctionnement déjà très difficile du réseau pour des raisons structurelles qui ne tiennent pas à l’opérateur, le nouveau schéma d'exploitation avec deux lignes supplémentaires va en réalité contribuer à dégrader les performances du tramway.


Une infrastructure saturée

Bien qu’une fréquence de 3 minutes soit déjà difficilement tenable sur la ligne A et que des bouchons de trams se forment sur les lignes C/D, Keolis promet à partir de septembre 2025 une fréquence à 2 minutes 30. Quel usager peut vraiment croire qu’une telle fréquence sera atteinte dans de bonnes conditions ? Avec plus de trois interruptions par jour, soit 1128 par an, le réseau ne brille pourtant déjà pas par sa fiabilité. De plus, le taux de régularité-ponctualité du tramway s'effondre à moins de 85% selon les dernières données publiques disponibles, alors que l'objectif est de 92%. La ligne A, qui sera l'une des plus affectées par la création de deux nouvelles lignes, est même celle qui a le pire taux de régularité-ponctualité : 77,56%. En y greffant les lignes E et F, la situation sera plus critique encore !

Une forte fréquence suppose en effet un fonctionnement millimétré, sans accroc. Or, dès 2019, Keolis relevait que le bon fonctionnement du tronc commun des lignes C/D était régulièrement altéré. Alors que cela coince déjà avec deux lignes, Keolis promet d'en exploiter trois désormais sur ce même tronçon ! De plus, de part et d'autre de la station Porte-de-Bourgogne, il ne s'agit pas des mêmes bouquets de lignes : C/D/E au Nord, C/D/F au Sud. Si le bon fonctionnement du tronc commun ne dépend aujourd'hui que du bon fonctionnement de deux lignes (C/D), il dépendra à partir de septembre du bon fonctionnement de quatre lignes (C/D/E/F). Et le bon fonctionnement des lignes E et F dépendra par ailleurs du bon fonctionnement d'une cinquième ligne avec laquelle elles partagent des troncs communs : la ligne A. Cinq lignes interdépendantes sont beaucoup plus vulnérables que deux lignes interdépendantes ! Le moindre pépin sur l'une de ces lignes aura des conséquences sur l'exploitation des quatre autres.


Des avantages non-démontrés

Pour les usagers, le seul avantage à l'exploitation de lignes E et F sur le réseau existant est l'absence de correspondance pour des trajets aéroport <> gare Saint-Jean ou Blanquefort <> Floirac. La liste des inconvénients pour les usagers est quant à elle bien plus longue !

D'abord, cela imposera des correspondances à de nombreux voyageurs qui n'avaient pas à en faire jusque-là. Puisque le terminus de Blanquefort sera désormais connecté à celui de Floirac, les Blanquefortais et les Brugeais perdent la liaison directe et la plus fréquente vers la gare Saint-Jean. Les fréquences entre Cracovie et la gare seront également moindres qu’aujourd’hui et certains usagers seront obligés de faire une correspondance pour rejoindre cet équipement métropolitain majeur. Les Floiracais et les Cenonais quant à eux perdent leur liaison directe depuis les Hauts-de-Garonne vers le CHU et au-delà, Mérignac. Cette réorganisation du réseau transformera par ailleurs un voyage depuis Floirac et Cenon vers la Victoire en véritable parcours du combattant avec une correspondance à Porte-de-Bourgogne et une autre à Hôtel-de-Ville, sauf à privilégier un détour ubuesque par les Quinconces !

Ces correspondances nouvelles, l'encombrement des voies due à ce schéma d'exploitation, les incidents qui se reportent en cascade d'une ligne à l'autre feront finalement perdre du temps à tous les usagers du réseau, effaçant le gain de temps promis. C'est ce qui s'est produit partout où un réseau de tramway a été maillé et c'est ce qui s'est déjà produit lorsque Keolis et la Métropole ont mis en place les terminus partiel.

De plus, la complication de l'exploitation autour du noeud ferroviaire de la Porte-de-Bourgogne et, par répercussion, au-delà, va multiplier les conflits d’usage, entre le tram, les piétons, les voyageurs en correspondance, les cyclistes, les automobilistes. L'espace public devient un espace de plus en plus dangereux, car de moins en moins lisible. Avec ce maillage du réseau de tramway, tout le monde est perdant.


Petites pertes de temps, grosses conséquences

Les quelques minutes perdues, paradoxalement, à cause des lignes E et F peuvent paraître anodines. En réalité, elles provoquent un effet domino. Alors que la vitesse commerciale du tramway s'effondre déjà, bien loin des 21km/h qui conditionnaient la déclaration d'utilité publique, un nouvel allongement des temps de parcours nuit d’abord à l’attractivité du réseau. Mais cela nuit aussi à l'exploitant et à la Métropole.

Il est en effet impossible de conserver la fréquence cible avec le même nombre de rames si la vitesse commerciale diminue. Il faut en conséquence acheter plus de rames, les faire rouler, les entretenir, les réparer et, à terme, les renouveler. Tout cela a un coût non négligeable qui n'a probablement pas été intégré.

Surtout, augmenter la fréquence suppose de solliciter davantage des infrastructures prévues pour permettre la circulation d’un tramway toutes les 5 minutes à l’origine. Cela se traduit par un niveau d’usure plus important des infrastructures et des rames, ce qui suppose plus de travaux paralysant le réseau totalement ou partiellement. D’ailleurs, le déficit d’exploitation par kilomètre du tramway a été multiplié par 10 entre 2007 et 2022 !


En conclusion, la création des lignes E et F, bien que présentée comme une avancée par Bordeaux Métropole et Keolis, semble plus susceptible de nuire aux conditions de déplacement des usagers qu’elle ne pourra réellement améliorer le service rendu. En s'appuyant sur un réseau déjà saturé, ces lignes pourraient affecter les performances d'un réseau déjà en panne. En parallèle, la Métropole et de Keolis refusent de rassurer les usagers en communiquant, enfin, les études qui auraient été faite sur la pertinence et sur les conséquences de l'ajout de ces deux fausses nouvelles lignes de tram. Sans doute parce qu'il n'y a pas de quoi rassurer les usager ! À l'heure où la fiabilité des transports en commun est cruciale pour attirer et fidéliser les usagers, il est essentiel d'en finir avec ces bricolages qui créent systématiquement plus de problèmes qu'ils n'en résolvent. Et davantage de transparence ne serait pas de trop !


Mickaël Baubonne

Président de Bordeaux Nouvelle Voie

 
 
 

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